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L'histoire du likpa lyre        Page 3       

Histoire précédente: L'Histoire détaillée de Haralik

Second cycle: L'histoire du likpa lyre

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tragédie!

 

Dédié à tous les non-humains tarés qui justifient, fabriquent, stockent ou utilisent les bombes atomiques, y compris les centrales nucléaires «pacifiques» qui ne sont que d'autres sortes de camps de la mort, délibérément décidés et construits à seule fin de torturer les générations futures (Mais si mais si, les gars. Rappelez-vous que votre propagande pro-nucléaire condamnait systématiquement les «utopies», c'est à dire tout projet social d'avenir) (Bon, on ne trouvera probablement pas de preuves sur Internet, puisqu'il n'existait pas encore à l'époque. Mais les oreilles étaient déjà inventées.)

 

 

 

Document 1:

Antakaralik archive n° Lik2345473, le seul historique connu sur les Likpas Lyre.

 

Les Likpas Lyres avaient la peau rose clair et de très longues antennes élégamment recourbées sur le dos, d'où leur nom. On dit qu'ils étaient aussi de merveilleux musiciens, même si au fond on sait peu de choses d'eux.

 

 

Après la Grande Guerre mondiale, Haralik était encore un monde très divisé par de nombreuses frontières, qui empêchaient toujours le libre voyage. Ceci explique que, même soixante ans après cette Guerre mondiale, les likpas d'Antakaralik ne connaissaient réellement qu'un tiers environ de leur planète.

 

Les accords, signés à la reddition des Mamphallos de Mamalik à la fin de la Grande Guerre mondiale, les plaçaient sous la tutelle des likpas de l'Arnolike et d'Antakaralik, ce qui autorisait ces derniers à enfin explorer de vastes territoires. Mais de nombreux pays de phallos qui n'avaient pas pris part à la guerre n'étaient pas concernés par ces accords, et ils continuaient à empêcher les libres voyages sur une grande partie de la planète, qui n'était connue que par des récits de voyageurs phallos. Parmi ces pays de phallos se trouvaient aussi des communautés de likpas, qui étaient de ce fait isolées d'Antakaralik, et sur lesquelles on n'avait que peu d'informations fiables.

 

 

Les Likpas Lyres étaient de ceux-là. Ils occupaient la presqu'île de Karélik, stratégiquement disposée pour le commerce maritime, au milieu d'une grande mer fermée, au nord du continent de l'Arnolike, mais séparée d'Antakaralik par le grand pays des phallos roses. En fait Karélik était à l'origine une communauté de phallos, les Karphallos. Les Karphallos étaient des commerçants, qui avaient toujours eu l'art d'éviter de se faire prendre dans les innombrables guerres entre les pays phallos environnants. Car ces pays avaient toujours besoin d'un lieu neutre pour le commerce et l'approvisionnement en denrées rares, et même au plus fort des conflits Karélik n'avait jamais été le théâtre de combats ni d'occupations. Par contre ils avaient été régulièrement victimes de colonialisme culturel et d'autres formes de chantage. C'était le prix à payer pour conserver leur indépendance.

 

La presqu'île de Karélik comprenait une zone de collines boisées, relativement peu habitée, qui leur avait permis de fabriquer d'innombrables navires en bois tout au long de leur histoire ancienne. Plus loin vers la mer, il y avait une zone de plaines agricoles qui assurait leur autonomie. Enfin à l'extrémité de la presqu'île, entre deux collines, se tenaient leur ville et le port: Karélik.

 

Les Karphallos étaient connus depuis l'antiquité pour leur richesse et leur diversité culturelle. Le début de l'ère moderne avait encore amélioré leur situation. De grands aménagements avaient fait de leur port l'endroit idéal pour toutes les transactions, capable de recevoir des navires toujours plus puissants et plus modernes. Ce port comptait bien sûr d'immenses jetées et de vastes entrepôts, mais ce qui faisait la fierté des Karphallos était les grandes Grues portuaires, dont les flèches dépassaient les mâts des navires et les tours de la ville. Elles se voyaient de fort loin, dans toute la plaine et depuis les collines. Chacune de ces Grues avait un nom: Grumion, Thouban, Mistran, Tarouk, Terender, Hkirsh, Bellion. Mais la plus impressionnante était sans conteste Tarkus, un mastodonte chenillé muni d'une benne démesurée capable de transporter à lui seul une demi-cargaison de minerais en transit par le port, pour la déverser directement dans un autre navire. En effet, à cause des différences de nationalités et des interdictions de pénétrer dans les eaux territoriales, la plupart des navires devaient transborder leurs cargaisons. C'était là l'activité des Karphallos, qui leur valait un train de vie très confortable grâce aux dîmes qu'ils prélevaient sur toutes les cargaisons.

 

 

 

Chacune de ces Grues était l'objet d'une sorte de culte, et ses servants formaient des équipes avec chacune un costume et des insignes, qui s'affrontaient lors des matches de différents sports, ou qui avaient chacune leur orchestre ou leur troupe de théâtre. Cette compétition amicale faisait des Karphallos des êtres très cultivés, très ouverts à l'art. Les métiers des Grues étaient très recherchés, et objets d'une grande fierté. Même un simple balayeur était considéré avec presque autant d'estime qu'un ingénieur, du simple fait d'avoir servi sa Grue. Une tradition voulait d'ailleurs que, deux jours par an, lors de la fête des arpettes, les ingénieurs et les comptables se consacrent aux plus humbles besognes de leur Grue. Ils en profitaient généralement pour la nettoyer et la repeindre, ou pour refaire marcher la vieille Grumion à vapeur. L'âcre odeur de la fumée de charbon et le halètement des vérins pneumatiques remplissaient alors le port comme dans les anciens temps. Ici une «véritable» vidéo de likpas de Karélik en plein transbordlikpatage de minerais. (Le personnage qui parle à un moment dit qu'il était étonné que la machine se déplace avec tant de douceur. Il s'attendait à être secoué comme un prunier par cette mécanique)

 

La tradition des Grues était immémoriale. Les gravures antiques montraient déjà des modèles en bois de dimensions impressionnantes, animées par des roues en cage d'écureuil où plusieurs doudounelles pouvaient prendre place. L'ère industrielle vit l'apparition de massives structures en fer puddlé noir, actionnées par d'énormes vérins pneumatiques dont les puissants chuintements couvraient les autres bruits du port. L'air comprimé était fourni par des machines à vapeur rejetant d'épaisses fumées au bout d'une longue cheminée. Avec les progrès de la technique, on a refondu les grues plusieurs fois, tout en gardant leur identité (on alla même jusqu'à réutiliser le même fer). Ainsi, au moment de la guerre nucléaire, elles étaient devenues d'élégantes dentelles d'acier peintes de vives couleurs, aux mouvements agiles et silencieux, grâce à de puissants moteurs électriques pilotés par ordinateurs. Vues depuis les collines, elles formaient une série de bras par-dessus l'horizon de la ville, avec à gauche les deux phares sur leur rocher, et un peu plus à droite les grandes cheminées de la centrale éliktrique.

 

Les Karphallos, confrontés depuis toujours à un grand nombre de religions et de coutumes différentes, durent développer une tradition de large tolérance, et depuis longtemps des dizaines de tours, pagodes, clochers et minarets répondaient aux silhouettes des Grues sur l'horizon de leur ville. De nombreux temples, salles de concerts ou théâtres ornaient la ville d'autant de bijoux d'architecture dans des styles très variés, et ils étaient assidûment fréquentés par tous les travailleurs du port, débardeurs, mécaniciens des Grues, comptables, gardiens ou hauts fonctionnaires. Mais le plus grand monument était sans conteste le Capitolium, vaste palais antique à colonnes et fronton de marbre blanc, avec une coupole de bronze et des absides de briques roses, où siégeaient depuis toujours les Familles, chacune propriétaire d'une des Grues, ainsi que les représentants des paysans, des chantiers navals et des bûcherons (qui autrefois fournissaient le bois des navires, mais depuis la marine en fer ils représentaient plutôt la protection de la nature). Comme le nombre de phallos allait en diminuant, et que les Likpas Lyres quittaient la ville pour s'installer à la campagne, de nombreuses vieilles maisons insalubres étaient détruites et remplacées par des jardins et des arbres. Aussi la ville de Karélik devenait très jolie, très agréable à vivre, et tous les voyageurs en chantaient les louanges.

 

Cette ambiance paisible, raffinée et tolérante explique probablement pourquoi les Karphallos ont commencé à tourner au likpa avant bien les autres, et surtout pourquoi les deux communautés ont toujours pu vivre en bonne entente. Les choses n'avaient pourtant pas toujours été faciles, et, au début, sous la pression de voisins plus belliqueux, les Familles avaient été sur le point de commander l'extermination des Likpas Lyres au fur et à mesure de leur naissance. En fait un compromis avait été négocié, pour calmer les ardeurs des voisins sans s'engager dans une extermination répugnante: les Likpas Lyres eurent officiellement un statut d'esclave, qui leur interdisait l'accès aux Grues et au commerce, et qui les reléguait aux travaux paysans (il manquait de main d'œuvre dans ce secteur) avec en plus diverses interdictions, ne pas construire de maisons en pierre, ne pas porter de symbole de Grue, etc. Les Likpas Lyres n'avaient pas le choix, mais ils comprirent vite que c'était tout à leur intérêt. En effet leur statut les laissait libres de vivre comme ils l'entendaient, dans des maisons légères en bois qui leur convenaient, dans la nature, et avec un rythme de travail somme toute très acceptable, qui leur laissait le temps de faire beaucoup de choses qui leur plaisaient. Ils avaient accès aux temples et aux théâtres, à la seule condition de porter au bras gauche un bracelet de fer indiquant leur statut d'esclave. Ils avaient même leurs propres représentants au Capitolium, officiellement pour recevoir des ordres d'activités agricoles ou de bûcheronnage, mais en fait ils furent vite aussi écoutés que les autres corps de métier pour tous leurs problèmes propres.

 

Peu avant la Grande Guerre mondiale, la société des Karphallos et des Likpas Lyres s'était développée en richesse et en raffinement et, disons-le, en amitié. On commençait à dire que les Likpas Lyres étaient une des Grues, et, comme ils étaient de plus en plus nombreux, il fallut même les diviser en plusieurs Grues: les Paysans, les Bûcherons, puis les Rouliers (transporteurs), les Eliktriciens, les Artistes, les Maçons, les Scientifiques, etc. Chacune de ces Grues likpateuses portait un bracelet différent, toujours en fer, mais bien plus élégant et léger que la lourde menotte d'origine. Les Likpas Lyres devinrent des gens très cultivés, aussi riches et bien habillés que les Karphallos. Ils avaient de nombreux artistes, philosophes et penseurs, parfois de très haut niveau. Leurs communautés likpateuses s'étendaient dans toute la campagne et les collines, où seuls quelques Karphallos habitaient encore. Les interdictions d'autrefois étaient devenues des traditions: les Likpas Lyres aimaient leurs maisons de bois légères qu'ils fabriquaient eux-mêmes et brûlaient à leur mort. Ils n'avaient en fait de comptes à rendre à personne.

 

La Grande Guerre Mondiale, qui a apporté tant de souffrances sur toute Haralik, n'affecta que peu les Likpas Lyres. Le commerce faiblit à peine, car tous les camps en avaient besoin. Le Capitolium décida tout de même de lever une milice, pour garder la frontière de leur presqu'île. Elle n'eut pas à combattre, sauf pour quelques bandes de pillards qui s'imaginaient pouvoir détrousser facilement ces gens paisibles.

 

Les soixante années qui ont suivi la Grande Guerre mondiale furent très heureuses pour les Likpas Lyres. Ils étaient maintenant de loin la plus grande des deux communautés, et ils avaient accès à toutes les positions. Toutefois les likpas, par nature, répugnent à la pratique du commerce, aussi ils laissaient les Karphallos s'en occuper seuls, tout en profitant des richesses qu'ils amenaient. Les Karphallos y trouvaient aussi leur compte en gardant le gouvernement et la direction des affaires. Ainsi les deux communautés étaient liées par l'intérêt autant que par l'amitié.

 

Les dernières années avant la guerre nucléaire virent de nombreux progrès de la paix et de la démocratie dans les pays phallos environnants. Des traités permirent le commerce de port à port, sans plus passer par Karélik, affaiblissant ainsi la principale source de revenus des Likpas Lyre. Toutefois ils se ressaisirent immédiatement en développant les productions et l'exportation de haute technologie, en particulier éliktronique ou robotique, pour lesquelles les likpas se sont toujours montrés plus doués que les phallos, et a fortiori que les brutes ignares peuplant les dictatures environnantes. Cela explique que ce petit pays ait pu développer un mode de vie très moderne, avec de nombreux appareils éliktroniques. Ainsi Karélik continua à prospérer, et les rares images qui en sont parvenues montrent de nombreuses petites usines de haute technologie, dispersées sur les collines afin de ne pas diminuer les terres agricoles.

 

Le pays des Likpas Lyres était donc un beau pays, couvert de champs et de forêts, peuplé de merveilleux petits villages fleuris et de petites maisons de bois, souvent peintes et sculptées comme des violons, où s'exerçaient des artistes d'un incroyable talent. Toutefois cette communauté, connue d'Antakaralik, en restait isolée, car pour y accéder il fallait traverser le grand pays des Phallos Roses, non concernés par les accords de reddition. Ce pays était officiellement en paix avec les likpas, mais fort en colère après eux, aussi ils refusaient toujours d'ouvrir leurs frontières. Les likpas auraient dû faire une nouvelle guerre pour y parvenir, mais ils ne voulaient pas s'engager dans cette voie, malgré leur incontestable supériorité militaire, industrielle et scientifique. A cette époque coururent des rumeurs d'un projet de tunnel reliant Antakaralik à la presqu'île de Karélik… Un tunnel de 650kms paraît démesuré, mais la puissance de l'Arnolique était devenue telle qu'ils pouvaient l'envisager.

 

Certains se demandent si les Likpas Lyres, malgré leur indéniable supériorité morale, ne gardaient pas quelque complexe d'infériorité, qui leur faisait accepter certaines humiliations et les empêchaient de refuser leur statut d'esclave. D'autres pensent que, au contraire, ce statut était leur seule sauvegarde, dans une région où les phallos étaient encore très majoritaires et très racistes. De plus Karélik n'avait jamais eu de véritable armée, juste une batterie de canons de bronze obsolètes défendant le port contre d'éventuels pirates. Construire une véritable défense aurait été considéré comme casus belli par leurs voisins. Indépendants, les Likpas Lyres n'auraient jamais pu résister à une invasion de leurs puissants et peu scrupuleux voisins les Phallos Roses, ni même des cruelles petites dictatures plus au nord. C'est une des raisons qui a poussé les likpas d'Antakaralik à envisager de les rejoindre par tunnel.

 

C'est alors qu'éclata l'effroyable Guerre nucléaire qui devait détruire presque toute vie sur Haralik…

 

 

 

Document 2:

Antakaralik archive n° Lik235784, le témoignage de likpato Lyre,
le seul survivant connu des Likpas Lyres.

 

«Bonjour, Je suis Likpato Sylvain. Sylvain c'est notre Grue de bûcherons, bien qu'on ne coupe presque plus d'arbres aujourd'hui. Notre bracelet est de fer et de triples feuilles entrecroisées. Ma gentille Doudouna et moi on habitait dans les collines, avec la forêt, dans une maison de pierre contre la falaise, que ma gentille Doudouna avait de ses parents qui étaient des Grumions. Dans la falaise on avait une petite grotte qui nous servait à ranger des conserves et des jus de fruits.

«Ce jour-là on était en train de manger avec ma gentille Doudouna et nos deux enfants Likpato et Likpato. On avait mis une table dehors et on mangeait au soleil. Il faisait beau, le ciel était bleu, et tout le monde était heureux.

«J'étais allé à la cave dans la falaise pour chercher des jus de fruits. Tout à coup j'ai entendu un grand bruit, et la lumière éliktrique s'est éteinte. J'ai voulu sortir en tâtonnant, mais j'ai vu que la sortie de la cave était pleine de feu. Il y avait un grand feu à la place de la maison, qui chauffait tellement qu'on sentait le chaud jusqu'au fond de la cave. J'ai entendu encore du bruit comme une énorme explosion qui a secoué la terre. A un moment de la fumée est rentrée jusqu'au fond de la cave. J'ai dû mettre mon nez contre une fente dans la roche où il arrivait de l'air.

«C'était terrible, j'entendais la maison brûler avec un grand bruit, et les rochers craquaient avec la chaleur, et je respirais de plus en plus mal. Je me demandais comment la maison avait pu prendre feu si rapidement, sans doute il y avait eu une explosion ou quelque chose avec le poêle à pétrole, mais il était pas allumé.

«Ça a duré longtemps, et je me demandais pourquoi les pompiers ne venaient pas. Normalement il leur faut pas plus d'une demi-heure pour arriver de la ville. Mais là des heures passaient sans rien.

«Le feu s'est calmé, parce que la maison avait fini de brûler. Mais je suis resté trois jours enfermé dans la cave, à cause des braises et de la chaleur. Même tout ce temps j'entendais toujours les rochers craquer, ça me faisait peur. Heureusement j'avais de quoi manger et boire, avec les conserves et les jus de fruit, mais je devais tout faire à tâtons, parce qu'il y avait toujours pas d'éliktricité.

«Au bout de trois jours il y a eu de la pluie, qui a lavé les cendres, et j'ai pu sortir.

«C'était incroyable, il n'y avait pas que la maison de brûlée, tout était brûlé, même la forêt. Il ne restait que quelques troncs tout noirs, avec de la fumée qui sortait encore par les nœuds des branches. A la place du vert on ne voyait plus que des roches blanches et des branches noires. La pelouse, les fleurs, tout était noir, réduit en cendres.

«Il y avait les corps de ma Doudouna et de mes enfants, complètement grillés. Mes enfants étaient morts sur place, et leurs corps étaient tout collés dans le plastique fondu de la table. Ma Doudouna était complètement brûlée d'un côté, mais intacte de l'autre. Elle avait rampé jusqu'à la pelouse, et elle avait de la terre plein la bouche. Plus tard les sauveteurs m'ont dit que beaucoup de gens avaient fait ça pour s'étouffer et abréger leurs souffrances.

«Et moi je comprenais rien, je me demandais bien ce qui avait pu faire ça. On avait bien entendu parler de l'histoire de Auweara à la télévision des phallos, mais les phallos disaient que ce n'était pas vrai, que c'était de la propagande de science-fiction des likpas d'Antakaralik. Et chez nous les Familles interdisent qu'on critique les autres phallos ou qu'on parle de politique. Alors j'avais même pas fait le rapprochement, c'est les sauveteurs qui me l'ont dit plus tard.

«J'étais complètement terrorisé et très triste de la mort de Doudouna et de mes enfants. Alors j'ai voulu partir. On avait aussi un garage dans le rocher, avec une voiture taille doudounelle, mais qu'un likpa pouvait conduire. Heureusement elle était pas brûlée. Je l'ai prise et je suis parti à la ville.

«Mais plus j'allais plus c'était brûlé. C'était comme si tout l'univers était brûlé. J'ai pensé que c'était peut-être le soleil qui avait commencé à exploser. Le goudron de la route était fondu. Et il y avait des voitures brûlées partout. Il y en avait qui étaient restées sur la route, et d'autres qui avaient continué à rouler jusque dans le fossé ou contre des rochers, mais elles étaient toutes complètement brûlées, et l'herbe et les arbres et tout, on reconnaissait même plus le paysage, il y avait plus que des rochers blancs là ou avant c'était la forêt. En plus ça sentait horriblement mauvais, comme chez les ogres phallos qui mangent des animaux cuits.

«Quand je suis arrivé en vue de la ville et du port, il y avait plus rien, plus de grues, plus d'entrepôts, plus de centrale éliktrique, juste des ruines, avec de temps en temps une tour de pierre qui avait résisté, et un des deux phares coupé à mi-hauteur. Il y avait une énorme colonne de fumée toute noire qui montait de la raffinerie de pétrole.

«Dans la plaine il y avait plus aucune maison, tout était brûlé au ras du sol. Il n'y avait même plus de suie, c'était blanc, la roche à nu, plus de trace d'herbe ni de terre, même sur la route il ne restait que le gravier gris clair, sans goudron. Mais à part ça la route n'était pas abîmée. Quand je suis entré dans la ville, tout était en ruine, il ne restait que la pierre, toute blanche, couverte d'une épaisse couche de poussière blanche qui brûlait les yeux. Même les grandes tours de pierre étaient en ruines ou craquelées. Le seul bâtiment qu'on reconnaissait encore était le Capitolium, mais j'ai vite vu que le toit était effondré et que les murs étaient couverts de suie. Même dans le bâtiment en pierres, toutes les archives historiques avaient brûlé, il y avait encore de la fumée. Et dans les rues, on voyait les réverbères couchés au sol et tout tordus, tout ramollis, tout noircis, et les voitures, complètement fondues, juste des flaques de fer noir sur le sol, qui commençaient à rouiller. On ne reconnaissait que les culasses des moteurs, trop grosses pour fondre. Et par-dessus ça il y avait une odeur terrible, même plus du brûlé, quelque chose de bien pire encore, métallique, piquant, comme l'eliktricité, qui faisait peur.

«Enfin je suis arrivé au port. Les Grues étaient complètement fondues, juste des tas de poutrelles ramollies et complètement brûlées. Les bateaux étaient tous brûlés et coulés, il ne restait que des mâts tordus qui dépassaient de l'eau, avec comme une chaussette de rouille là où la marée les avait recouverts. Il y avait juste un beau voilier de bois, tout blanc, au milieu de la rade, avec des gens dessus. Mais c'est sans doute qu'il était arrivé après.

«Plus loin à la raffinerie il y avait le feu de pétrole, avec une flamme rouge et une fumée complètement noire, compacte comme une grande colonne de pierre. C'était très étrange et effrayant de voir un incendie aussi gros brûler depuis trois jours sans que personne ne s'en occupe. Tout était complètement silencieux, incroyablement vide, pas un oiseau, pas un insecte, pas un froissement d'herbe, on n'entendait rien qu'un sifflement intermittent de l'incendie, à plus d'un kilomètre.

«Et dans toute la ville il n'y avait personne, personne, personne. On ne voyait même pas de cadavres, pas de squelettes, rien. Si on avait vu des cadavres, ça aurait fait peur, mais là, de ne voir personne, aucune trace, c'était mille fois pire, on se demandait ce qui s'était passé, c'était bien pire que juste un incendie normal avec des gens brûlés. Sur la terrasse du Grand Bar du Capitolium, où il y avait toujours plein de monde, il ne restait plus que les tables de fer écrasées, et des traces grises sur les dalles de granit rose, tout luisant comme si il avait gelé. Même la terre des pelouses était brûlée, il ne restait que du sable très propre, jaune, collé par une sorte de verre.

«J'étais terrorisé, et je me demandais toujours ce qui avait bien pu faire ça. Je ne pensais même pas à la guerre, et de toutes façons on n'était pas en guerre, je ne pensais même pas à la guerre.

«Quand j'ai vu qu'il ne restait rien de la ville, alors je suis reparti. En roulant sur les routes sans goudron, ma voiture faisait beaucoup de poussière, et j'en ai beaucoup respiré. Ah si j'avais su ce que c'était, je ne me serais même pas approché.

«J'ai pris ma voiture, et je suis reparti en sens inverse. Je suis repassé devant notre maison, et j'ai pris de la nourriture et des affaires dans le garage, et je suis parti vers le pays des phallos. Je ne savais pas si ils me laisseraient passer à la frontière, mais je ne savais pas où aller.

«En arrivant au pays des phallos, c'était moins brûlé. On voyait de la suie sur les rochers, qui étaient encore gris et jaunes, pas de ce blanc effrayant comme à notre ville. Il y avait encore de la terre, noircie, mais on comprenait encore ce qui s'était passé, comme dans un incendie normal.

«Quand je suis arrivé au poste frontière, les bâtiments étaient brûlés, mais pas écroulés. Il y avait des centaines de cadavres brûlés allongés en ligne sur le côté gauche de la route, et moi je devais rouler sur le côté droit. Dans un champ, il y avait des tentes et des sauveteurs. Ils sont d'abord venus vers moi pour m'aider et me demander des nouvelles du pays des Karphallos. Mais quand ils ont vu que j'étais un Likpa, ils ont eu l'air d'avoir peur, il y en a même un qui est parti chercher un pistolet sous sa tente. Je leur ai dit que je ne savais pas où aller, parce que nous les likpas on n'avait pas le droit d'aller au pays des phallos, même pas de voir une carte. Ils m'ont dit de continuer à suivre la route pour trouver des secours. Je suis enfin arrivé à un endroit où la forêt n'était plus brûlée, et enfin à un endroit où il y avait encore des champs, des maisons et des gens. Il y avait aussi des sauveteurs qui essayaient de sauver des gens qui étaient brûlés. Il y avait un grand groupe d'enfants qui pleuraient, avec des cloques toutes rouges plein le visage. Mais j'ai su plus tard la vraie raison pourquoi ils pleuraient: tous ceux qui avaient vu ce terrible feu étaient devenus aveugles.

«Quand ces autres sauveteurs m'ont vu arriver, ils ont fait pareil que les premiers, ils sont d'abord venus gentiment vers moi pour m'aider. Mais quand ils ont vu que j'étais un Likpa, ils ont été furieux, ils disaient que tout était de ma faute et qu'ils allaient me tuer. Heureusement il y en avait un de moins fou, qui était une sorte de chef, il les a empêchés. A la place il a appelé la police. La police m'a arrêté, ils ont pris ma voiture et je n'ai pu garder que mon sac avec quelques affaires. Ils m'ont mis dans un hôtel où j'avais pas le droit de sortir. Je leur ai demandé ce qui s'était passé qui avait brûlé tout mon pays, et ils m'ont dit que c'était une bombe thermonucléaire, comme à Auweara, parce qu'il y avait trop de likpas dans ce pays. Je ne comprenais pas, par ce qu'on était pacifiques, on n'avait jamais fait de mal à personne.

«Après ils m'ont emmené dans un long voyage dans une camionnette blanche sans fenêtres, et encore dans un hôtel, et dans une grande ville. Là ils m'ont mis dans une prison pendant quinze jours. J'étais très malheureux, parce que je ne savais pas combien de temps j'y resterais, peut-être toute ma vie. Après ils m'ont mis dans une voiture qui m'a emmené dans leur ville. Elle était si grande qu'on pouvait y rouler pendant des heures, et horrible, avec des vieux bâtiments en pierre brune toute sale, ou des bâtiments modernes tout biscornus, tellement hauts qu'ils cachaient le soleil, c'était angoissant de passer entre. Il n'y avait pas beaucoup d'arbres, et les gens avaient l'air malheureux, ils se disaient pas bonjour et ils osaient même pas se regarder en face. Dans une rue sale il y avait plein de cracugnes habillées avec des filets à patates, qui attendaient je ne sais pas quoi. On avait l'impression d'être pris dans un piège, et en plus il y avait des publicités bariolées et des affiches partout, et des papiers et des crachats par terre, leur ville avait vraiment l'air d'une poubelle.

«Enfin ils m'ont mis devant un juge qui m'a dit que j'étais expulsé et que j'avais de la chance de ne pas aller en prison pour avoir entré illégalement dans leur pays. En plus il m'a dit que c'était de ma faute si la bombe avait explosé et qu'elle avait fait des morts dans leur pays. J'étais très en colère et je lui ai dit que je n'aimais pas du tout leur pays, et que leurs restaurants sentaient pareil que les cadavres brûlés par la bombe. Alors il a dit aux policiers de me pincer les antennes pour m'apprendre. Après j'osais plus rien dire parce que ça fait très mal, avec des hallucinations pas jolies. Après les policiers m'ont amené à la frontière jusqu'au pays des Likpas Roses, l'Arnolike.

«J'avais peur parce que on nous disait toujours que les likpas de l'Arnolike étaient très méchants, et qu'ils pensaient qu'à faire la guerre. Il y avait des likpas en uniforme mirlitaire au poste frontière, qui avaient l'air sévères. Mais dès que les policiers des phallos ont été repartis, ils m'ont parlé très gentiment, ils m'ont souri et donné à boire et à manger. Surtout ils m'ont vite emmené loin de la frontière. Ils étaient très contents de voir un Likpa Lyre, parce qu'ils croyaient qu'on était tous morts, il y en avait même un qui pleurait de joie, ça faisait drôle de voir quelqu'un en uniforme mirlitaire pleurer de joie.

«Je me demandais bien comment c'était un pays où les likpas gouvernaient eux-mêmes, sans phallos ni familles propriétaires. J'avais entendu dire que c'était sale et tout en désordre. En fait c'était très beau, avec plein de belles maisons, comme chez nous, mais en pierres, ou peintes de jolies couleurs, avec des fleurs aux fenêtres. Elles étaient de toutes sortes de formes, et entourées d'arbres et de jardins. Ils laissaient pousser l'herbe sans la couper, et ça faisait comme dans la nature, en plus joli. Les doudounelles étaient habillées très jolies, de beaucoup de façons différentes, comme si chacune avait sa Grue. Et les likpas étaient très gentils, ils m'ont beaucoup parlé et ils ont essayé de me consoler parce que je pleurais tout le temps de la mort de ma famille et de tout mon pays.

«Les likpas s'excusaient d'avoir encore des lois, un gouvernement et une police, comme les phallos. Ils n'aimaient pas ça, et ils comptaient les abandonner. Mais il ne pouvaient pas encore, parce qu'il y avait encore des phallos dans leur pays, et il leur fallait toujours prévoir leur défense, si ils étaient attaqués.

«Ils m'ont logé à la caserne du 1824eme Régiment de Hoplites Motorisés. Juste en face il y avait un camp de cavalerie parachutiste, où on entendait souvent des grands bruits de moteurs et des tirs. En fait il y avait des casernes partout. Ils m'ont dit que c'est parce qu'ils craignaient d'être envahis par les phallos. Sans toutes ces casernes, ça serait fait depuis longtemps, ils disaient, et je crois que c'est vrai, parce que les Phallos Roses ils sont vraiment méchants. Et comme les likpas devaient passer des années à l'armée, ils en profitaient pour faire plein de choses dans leurs casernes: étudier, faire de la musique, et des tas de choses belles et gentilles, au point que la caserne était souvent le centre social et artistique des petites villes. Mais quand les sirènes d'alarme sonnaient, ils redevenaient tout de suite des soldats très disciplinés, avec l'air sévère, des grands cris et des gestes qui faisaient peur.

«Mais il a fallu encore partir, parce qu'il y a eu les autres bombes thermonucléaires sur l'Arnolike, le pays des likpas de Antakaralik, et beaucoup de morts. Il y avait plein de voitures de réfugiés sur les routes, avec des campings de réfugiés un peu partout, parce que les gens fuyaient les villes. On a traversé d'autres endroits brûlés, une nuit il y avait des flammes pourpres sur tout l'horizon, le lendemain on a traversé une ville complètement noire avec juste un bulldozer jaune pour dégager un passage dans les ruines encore fumantes. Les sauveteurs avaient des masques, parce que ça sentait affreusement mauvais. Mais il n'y en avait pas assez pour nous, alors on laissait les vitres de la voiture fermées.

«Une chose bizarre que j'ai vue aussi, est beaucoup de gens qui restaient là à prier, au lieu de fuir. On me disait qu'ils avaient compris qu'ils ne pouvaient rien faire pour éviter la mort, alors prier pour aller au paradis était la seule chose qu'on pouvait encore faire.

«Et je suis arrivé à Antakaralik, dans la grande forteresse souterraine où on m'a donné une toute petite chambre où il faisait froid, j'ai dû me servir de mon sac comme couverture et d'une pile de livres comme matelas. Les likpas d'Antakaralik étaient très gentils, mais on voyait qu'ils avaient beaucoup trop de blessés à s'occuper, ils étaient très fatigués, alors ils me laissaient seul, à part un jeune qui venait me voir de temps en temps.

«On a eu trois coups au but, des bombes atomiques directement sur Antakaralik. Ça a détruit toutes les installations en surface, mais les usines souterraines profondes n'ont rien eu. A chaque fois ça faisait un bruit terrible et de la poussière partout, avec la panique et les cris. La troisième fois on est restés quatre heures sans éliktricité, sans lumière ni rien. Tout le monde était terrorisé, on avait peur de ne jamais revoir la lumière et de mourir comme ça dans le noir. On en entendait qui criaient ou qui pleuraient dans les couloirs. Alors quand la lumière est revenue, tout le monde hurlait de joie.

«Après il y a eu la Grande Epidémie, et les likpas d'Antakaralik ont du dynamiter les entrées pour ne pas être contaminés. Ils étaient très tristes parce que beaucoup de leurs amis et de leurs familles étaient encore dehors.

«Après j'ai commencé à être malade, d'avoir respiré de la poussière radioactive quand je suis allé à ma ville. Ça fait mal, et j'ai de plus en plus de mal à respirer. De toutes façons après avoir vu toutes ces horreurs, je suis très triste, j'ai même plus envie de vivre.»

 

 

 

Document 3:

inventaire des objets trouvés sur Likpato Lyre à sa mort.

 

Likpato Lyre est décédé ce jour xxx d'un œdème pulmonaire évolutif, très probablement causé par l'inhalation de poussière radioactive et de chaux vive. Quand il a été trouvé, dans sa chambre, sa mort remontait déjà à 24 heures, et, probablement dans une dernière tentative pour respirer ou appeler à l'aide, il était à moitié tombé de son lit, le nez contre le sol. Ses antennes étaient ramollies comme de la ficelle, on s'est toujours demandé comment des antennes aussi longues faisaient pour rester en érection. Le jeune Likpato qui allait parfois le voir s'est senti très coupable, mais il avait plus de deux cent malades à visiter.

Likpato Lyre n'avait sur lui que quelques vêtements, articles d'hygiène et un sac, qui ont été incinérés avec son corps. Les cendres montraient une forte radioactivité, qui a dû être jetée dans le fleuve souterrain, faute de moyens de l'isoler. On n'est plus à ça près, ces temps-ci.

Ont été conservés:

-Le contenu d'un portefeuille: de l'argent, des papiers et des photos de famille. Un billet de 100 Kars montrait un bâtiment avec comme légende «le Capitolium», et un autre de 20 Kars «La Grue Thouban».

-Un fin bracelet de fer en forme de feuilles stylisées entrelacées.

-Trois petits disques à sillons avec des enregistrements musicaux, que l'on n'a pas pu écouter, parce que les tourne-disques de l'Arnolike ne sont pas à cette norme.

Ces objets ont été placé dans une cantine scellée sous azote, dans la salle d'archive n° lik5678, a des fins de témoignage historique, si il reste un jour quelqu'un pour faire de l'histoire, après cette horrible guerre nucléaire qui est en train de ruiner toute civilisation sur notre planète. Pour l'étanchéité, on a fait des joints avec l'or de la Banque Centrale des Antennes, à quoi bon une banque maintenant.

La salle n° lik5678 a été ensuite remplie d'azote et ses portes soudées au plomb. Le pictogramme réglementaire a été mis sur les portes, signalant le risque d'asphyxie pour qui les ouvrirait. En effet on ne sait pas quelle langue parleront ces gens, si tant est que quelqu'un vienne un jour ouvrir ces portes.

 

 

 

Document 4:

Extraits des comptes rendus d'inventaire effectué le xxx
sur la cantine n° lik564325

 

…Aujourd'hui j'ai assisté à l'ouverture de la salle n° lik5678, après quinze siècles d'attente. Le panneau à l'entrée indiquait que, comme des dizaines d'autres, la salle contenait 8675 cantines empilées à la hâte lors de la débâcle, plus l'habituel avertissement contre l'asphyxie. Tout était resté sans soins depuis ce temps, soigneusement fermé, faute de moyens et de temps pour s'en occuper. Nous savions tous que ce serait un moment très émouvant, où nous retrouverions le monde de nos malheureux ancêtres comme ils l'avaient laissé, avec encore leurs vibrations et leurs souffrances. Cette salle était un des anciens temples, avec une statue d'un dieu antique dont la signification a été perdue depuis longtemps. Nous ne connaissions même pas son image, seul restait son nom: Azoth. Nous ne sommes pas arrivés à ouvrir les portes, et nous avons du les découper au chalumeau, puis pomper l'air vicié à l'intérieur, tout en vérifiant constamment la radioactivité. L'entrée dans cette tombe à l'odeur âcre a été un moment très émouvant: nous retrouvions intact un passé lointain et tragique, tel que nos ancêtres l'avaient laissé, tandis qu'à la lumière des lampes frontales on devinait, au fond, l'effrayante statue d'Azoth, son gardien, vieux de 7000 ans dit-on. Ces statues, en forme de doudounelle mais mâles, sont à l'origine de la terrible légende des hommes. Les cantines avaient été empilées sur des fûts d'acier qui s'étaient rouillés et écrasés, aussi tout l'ensemble s'était effondré en un énorme désordre. C'est ce qui avait bloqué les portes de l'intérieur. La radioactivité était passable, moindre que dehors en tous cas. Les cantines étaient presque toutes de ce modèle très courant en forme de parallélépipède aux longs côtés convexes, avec des pattes à boulonner: des caisses à bagages pour les chars d'assaut, dont il avait été fabriqué d'énormes quantités en trop lors de la Guerre Mondiale. Des indices furtifs mais bouleversants témoignaient de la hâte à préserver ce qui restait: une peluche d'enfant rejetée faute d'avoir trouvé place, un mot d'adieu à un être aimé, une poignée de cantine maculée de sang… Nous étions tous très émus, certains même en larmes, contemplant chaque cantine en pensant aux trésors et souvenirs émouvants qu'elle recelait, derniers témoignages de nos ancêtres avant l'anéantissement de leur civiliksation.

 

…L'ouverture de la cantine n° lik564325 a permis de numériser les nombreux documents écrits qu'elle recelait, afin de les conserver de manière plus sûre.

Des disques à sillons ayant appartenu au seul Likpa Lyre connu ont été trouvés, brisés en 5234 morceaux, de par la mauvaise conservation du vinyle. Chaque morceau a été scanné en microscopie 3D, et le puzzle reconstitué en 8 heures par un des puissants ordinateurs spécialisé des services de reconstitution archéologiques. Le contenu s'est avéré être les passages musicaux de trois opéras d'une sublime beauté, qui fournissent l'unique, très précieux et très triste témoignage sur ce qu'a pu être cette belle race.

Malheureusement à l'époque les techniques génétiques n'étaient pas encore connues, et aucun échantillon du corps de Likpato lyre n'avait été conservé. Les objets qu'il a pu toucher ont été mis en protocole GenProtect++, sous azote liquide afin de permettre la conservation d'éventuelles traces d'ADN.

Les enregistrements musicaux ont été classés à publier en haute priorité. Ils pourraient avoir un énorme impact sur la jeune génération, pour qui l'ancienne Haralik est une donnée plutôt abstraite, au mieux une époque barbare…

 

 

 

Document 5:

Extrait du compte rendu d'analyse génétique effectué le xxx
sur les échantillons n° lik 56578ghk dits Likpato Lyre

 

La quantité d'ADN ayant certainement appartenu à Likpato Lyre était très faible. L'analyse complète a permis de retrouver de nombreux gènes et allèles déjà connus, et quelques uns dont la signification n'a pas été déterminée, ni même leur localisation. Il s'agit fort probablement des gènes spécifique à la race, mais l'ensemble est incomplet, ne permettant pas la reconstitution d'un génome et par conséquent pas la reconstitution de la race.

 

 

 

Document 7:

Résumé du compte rendu des fouilles archéologiques sur la presqu'île AA187,
lieu présumé de la ville des Likpas Lyres

 

Comme la plupart des anciennes villes de Haralik, ce lieu est aujourd'hui couvert d'une épaisse forêt qui a longtemps caché les ruines aux satelliks. Ce sont des structures linéaires dans l'eau qui ont finalement attiré l'attention: les anciennes jetées du port, toujours visibles, mais érodées ou couvertes d'arbres. De nombreuses autres structures similaires sont visibles tout le long des côtes, aussi il était difficile d'affirmer que l'on avait bien à faire à la ville des Likpas Lyres, dont le lieu exact a été perdu lors de la débâcle. Une première reconnaissance a permis d'identifier des bassins de radoub, le Capitolium présumé et les deux phares. On pensait bien qu'il pouvait s'agir de Karélik, l'élégante cité des Likpas Lyres, encore que d'autres lieux pourraient aussi correspondre à la description. Ce n'est que récemment que les fouilles du Capitolium ont permis de retrouver, gravés dans la pierre de la salle du conseil, les noms des familles gouvernantes, qui étaient aussi ceux des fameuses Grues du port de Karélik: Tarkus, Thouban, Mistran, Tarouk, Grumion, Terender, Hkirsh, Bellion.

On a également trouvé des masses d'oxyde de fer, probablement les Grues elles mêmes. Un peu plus loin, des tumulus réguliers, à peine visibles sous les arbres, se sont avérés être des stocks de minerais de fer, de bauxite, et de wolframite (minerais de tungstène) dont il existe d'importants gisements sur la même côte, environ 200kms plus au nord. Les expéditions suivantes ont trouvé des amas d'oxydes de cuivre et de fer, probablement les génératrices de la centrale éliktrique, réduites à l'état de monticules terreux.

Les surfaces de pierre calcaire, notamment sur le phare antique, portent encore nettement des traces d'ablation par le rayonnement thermique. L'analyse isotopique des différents matériaux trouvés a montré une forte irradiation aux neutrons, mais pas de contamination directe par des produits de fission (seulement des retombées plus tardives, comme partout ailleurs). Ces caractéristiques permettent d'affirmer avec certitude qu'un engin thermonucléaire d'environ 250 mégatonnes, de type FFF, a explosé ici vers 8000 mètres d'altitude, dans le but de détruire radicalement le port et d'incendier un vaste territoire.

Faute de moyens pour tout explorer, l'accent a été mis sur la recherche de cavités souterraines qui pourraient receler des ossements contenant encore de l'ADN des Likpas Lyres, ou des tombes. Hélas rien de tel n'a été trouvé, les Likpas Lyres ayant l'habitude d'incinérer leurs morts, et ne construisant que très rarement sous terre. Malgré plusieurs campagnes en 25 ans, un seul squelette a été trouvé, mais l'analyse génétique a montré qu'il s'agissait d'un rastalikpa, dans ce qui était probablement une prison. Ce cachot l'aura protégé du feu thermonucléaire, mais seulement pour le condamner à mourir de soif. D'autres cachots voisins étaient vides, et les traces de matière organiques trouvées étaient bien trop contaminées par la pluie et la terre pour servir à une quelconque analyse.

La seule chose intéressante trouvée fut un coffre-fort dans les caves du Capitolium, qui avait résisté au feu sans dommages. Il contenait des pièces d'argent et d'or, mais aussi de nombreux dossiers administratifs qui pourraient produire d'importantes informations. Mais ils nécessiteront des années de lecture soigneuse et ennuyeuse pour être compris.

Dans l'espoir de retrouver un jour le génome des likpas lyres, la presqu'île de Karélik a été déclarée en entier en protocole Genprotect+, sur laquelle aucune construction ni activité n'est autorisée (A part la récupération de la wolframite). De nombreuses expéditions ont été tentées en vain pour retrouver des ossements de likpa lyre, ou des lieux comme la grotte de Likpato. Mais en 1700 ans beaucoup de choses ont changé, jusqu'à la disposition des roches, et on n'est même pas certains du trajet de l'ancienne route passant près de la maison de Likpato.

 

 

 

Document n° 6:

Courrier n° lik215478452 du comité de sélection
pour la banque de donnée culturelle des sondes inséminatrices

 

Contenu:

Le comité de sélection accepte l'inclusion de ces merveilleuses œuvres en bonne place dans la banque de donnée culturelle. Les sondes ayant pour mission de mettre en garde leurs protégés contre les risques du nucléaire, elles pourront utiliser comme argument ces superbes enregistrements, qui évoquent une irrésistible nostalgie d'une magnifique civilisation à jamais perdue.

 

Vers le Troisième Cycle: La fantastique odyssée de la MERE (lisible par tous)

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